Plus de nichoirs pour moins d’agressivité chez les oiseaux ?

Voici une histoire qui devrait intéresser ceux qui aiment les oiseaux… et posent des nichoirs. 

Une étude (Lipshutz et al Nature Ecology & Evolution, avril 2025) sur des oiseaux présents aux USA montre que l’évolution pourrait se répéter chez les oiseaux nichant dans des cavités. Pourquoi se répéter ? Parce que des caractères  spécifiques à ces oiseaux paraissent se retrouver dans plusieurs familles d’oiseaux par convergence. La convergence c’est un caractère acquis plusieurs fois au cours de l’évolution sans qu’il dérive d’un ancêtre commun. Le cas classique de convergence est l’aile des oiseaux et l’aile de chauve-souris ou des insectes  : toutes les ailes sont faites pour voler mais elles sont apparues plusieurs fois dans l’évolution et l’ancêtre commun des oiseaux et des chauve-souris n’avait pas d’aile.  

Nous allons analyser l’article sur un point plus subtil de convergence : les comportements agressifs lors de la compétition pour les sites de nidification en nichoirs, ou en cavités naturelles et puis on tentera de présenter sa base génétique que les auteurs ont étudié également. 

Le protocole expérimental se base sur la comparaison de paires d’espèces de cinq familles d’oiseaux, chacune comprenant d’une part une espèce nichant obligatoirement en cavité – ce qui est une contrainte car il y a peu de trous d’arbres naturellement disponibles dans la nature, et d’autre part une espèce apparentée mais ayant une stratégie de nidification plus flexible.  

Sur cette illustration ci-dessous, regardons d’abord la partie centrale et droite. On voit que les oiseaux qui nichent toujours dans des cavités ont un comportement plus agressif (trial spent attacking) si on leur montre un leurre représentant un oiseau de leur propre espèce taxidermisé – et accompagné de leur chant correspondant. Les barres rouges sont les résultats obtenus pour les femelles, les barres bleues sont pour les mâles. Regardons les deux premiers oiseaux en haut à droite. Il s’agit d’hirondelles (swallows). Celle située tout en haut est l’hirondelle bicolore, une espèce qui n’est pas présente en Europe mais qui  est commune en Amérique du Nord et qui ne niche que dans des cavités. Les deux sexes, mais surtout  les femelles passent nettement plus de temps à attaquer les leurres que l’hirondelle rustique présentée en dessous ; celle-ci est une espèce que nous connaissons bien car elle est présente aussi en Europe et elle ne niche jamais dans des cavités. Ce schéma d’agressivité plus marquée liée à une espèce qui niche obligatoirement en nichoir se répète pour les parulines américaines (warblers ; celle du haut est la paruline orangée  ; celle en-dessous c’est la paruline des mangroves), les turdidés (thrushes  ; celui du haut est le merle bleu de l’Est  ; celui du bas est le merle d’Amérique), mais c’est moins évident pour les moineaux (sparrows  ; moineau friquet, celui du haut  ; moineau domestique celui du bas). Ce sont les deux espèces que nous connaissons en Europe mais que les colons britanniques ont introduit aux USA au XIXème siècle. C’est moins évident aussi pour les troglodytes (wrens  ; le troglodyte familier est celui du haut ; le troglodyte de Caroline, celui du bas). Cependant ces deux couples nichent aussi parfois en nichoirs comme le montre le petit dessin. C’est particulièrement le cas des moineaux domestiques, comme vous le savez sans doute. 

En conclusion de cette partie de figure  : les auteurs ont le plus souvent observé une convergence comportementale, avec des niveaux plus élevés d’agressivité territoriale chez les oiseaux nichant obligatoirement en cavité, en particulier chez les femelles. 

La partie gauche de la figure représente la phylogénie consensuelle des 10 espèces d’oiseaux, issues de cinq familles, divergeant d’un ancêtre commun vivant il y a environ 44 Ma (Millions d’Années). Les paires d’espèces ont divergé il y a environ 9–20 Ma. Comme on peut s’y attendre d’après l’aspect des oiseaux que les deux moineaux sont plus proches parents que les deux turdidés par exemple. 

Ensuite les auteurs ont examiné le taux de testostérone, cette hormone souvent associée à un comportement agressif. Mais, entre les espèces, ils ont montré que les taux de testostérone en circulation n’étaient pas associés à la stratégie de nidification ni à l’agressivité. 

Ensuite les auteurs ont assez bien démontré l’évolution convergente de l’expression des gènes du cerveau : sur l’ensemble des 10 comparaisons entre oiseaux, ils ont trouvé 11 gènes partagés uniquement par les oiseaux qui nichent obligatoirement en cavités. Des travaux futurs pourraient valider fonctionnellement le rôle de ces gènes candidats soit dans l’agressivité, soit liés à la nidification dans les cavités ou liés à d’autres traits co-évolutifs. On pourrait aussi explorer d’autres scénarios expliquant pourquoi ces 11 gènes sont associés à une évolution comportementale répétée. D’autres analyses génétiques effectuées dans l’article vont dans le même sens. Les auteurs concluent sur ce dernier point  : « Nos résultats étayent l’hypothèse selon laquelle il existe des voies évolutives largement indépendantes pour la formation d’un oiseau agressif, reposant sur un petit ensemble de gènes évoluant de manière convergente. » 

De manière  simplifiée, on peut conclure que les oiseaux étudiés qui nichent obligatoirement dans des cavités sont plus agressifs que leurs cousins proches qui fabriquent leur nid hors cavité. Ceci est sûrement parce qu’ils sont contraints à défendre une denrée rare. Et ce comportement semble bien avoir une base génétique.  

Il serait intéressant de comparer avec le même type d’étude des paires d’oiseaux Européens et voir si on retombe sur le même comportement… et sur les bases génétiques repérées aux USA. On peut penser par exemple à la comparaison entre le pigeon colombin, qui niche obligatoirement en cavité et le pigeon ramier qui ne niche jamais dans des cavités d’arbre ou de bâtiments. Pour les mésanges d’Europe, il y a une difficulté à trouver une espèce assez proche des mésanges ne nichant pas en cavité : peut-être l’orite à longue queue.   

Petite morale de cette histoire : en posant des nichoirs, on peut penser que vous contribuez à la paix entre les oiseaux cavernicoles… puisqu’ils auront moins à lutter pour trouver des endroits de nidifications  😉 

Photo de Joshua J. Cotten et photo de couverture Maddy Hunt sur Unsplash